C’est un dimanche 4 décembre 2011, alors qu’on s’approche de la date de mobilisation de la CAMPAGNE POUR LE RESPECT DU DROIT A UN NOM ET A LA NATIONALITÉ - organisée chaque année autour du 10 décembre par l’organisation Movimiento de Mujeres Dominico-Haitianas (MUDHA) -, que Sonia Pierre, cette grande militante des droits humains, nous a quittés.
Chaque année, à pareille époque, autour de la célébration de la Journée internationale des droits humains, toute l’équipe de MUDHA – organisation fondée par Sonia – s’active, pendant plusieurs jours, pour faire connaitre au monde entier la dure réalité des descendantes et descendants d’Haïtiennes et d’Haïtiens en République Dominicaine et pour recueillir la solidarité de celles et ceux qui s’associent et s’identifient à cette cause.
Décembre était toujours, pour Sonia et son équipe, un moment intense et c’est un début décembre qu’elle est partie.
Mais c’est tous les jours que cette femme, à la voix émotive, se mettait debout en République Dominicaine, aux Etats-Unis d’Amérique, en Europe et un peu partout dans le monde, dans de nombreuses conférences internationales, dans des entretiens avec des instances nationales et internationales, pour dénoncer les discriminations, les abus, dont sont quotidiennement victimes les Haïtiens et leurs descendants en République Dominicaine, et pour réclamer le respect de leurs droits.
En même temps, elle formait des jeunes et des femmes, nés de parents haïtiens, sur leurs droits, leurs devoirs et leur histoire sur le sol dominicain. Elle les conscientisait sur leur identité, de manière à les aider à assumer leur origine. Ses témoignages sur la réalité des Dominicaines et Dominicains d’ascendance haïtienne sont cités dans de nombreux documents.
En voici un extrait tiré d’un rapport, publié en 2007 par Refugees International.
« Il y a un pays dans les Caraïbes, où les enfants ne peuvent pas aller à l’école, où ils n’ont pas droit à des soins de santé. Ils sont sous la menace continue d’être déportés vers Haïti, même si leurs parents sont nés en République Dominicaine. Ils sont victimes de discrimination parce qu’ils sont des descendants d’ Haïtiens...», disait Sonia dans ce rapport sur les personnes d’ascendance haïtienne vivant en République Dominicaine.
Pour la promotion et la défense de cette cause, Sonia a beaucoup souffert.
Son travail a été interprété par certains secteurs dominicains comme une atteinte à la souveraineté de leur pays. Elle a reçu quotidiennement des injures dans les médias, des menaces de mort sur sa personne et celle de ses enfants. A un certain moment, on a tenté de la dépouiller de ses documents d’identité comme Dominicaine. Elle est qualifiée de tous les noms sordides par des secteurs puissants en République Dominicaine et est pointée comme traîtresse à la nation.
Cependant, le travail de Sonia Pierre comme militante des droits humains a été aussi très apprécié dans le monde.
En 2003, elle a reçu le Prix de Amnesty International ; en 2006, le Prix Robert Kennedy des Droits Humains et en 2010, le Prix Femme Courage du Département d’Etat américain. Le Ministère Haïtien à la Condition Féminine et aux Droits de la Femme ainsi que le président René Préval l’ont honorée. De nombreuses organisations haïtiennes, dominicaines et de la diaspora des deux pays ont salué, à plusieurs reprises, son courage, sa détermination, tout en lui manifestant leur appui sans bornes.
Sonia vivait sous une pression permanente. Cela a eu des conséquences sur sa santé.
En 2006, juste après avoir reçu le Prix Kennedy, elle découvre qu’elle a des problèmes cardiaques. Elle subira une première opération. Elle a dû écourter sa période de convalescence aux Etats-Unis d’Amérique pour rentrer dans son pays, car l’on commençait à menacer ses enfants. Un peu plus tard, elle subira une seconde opération et devait désormais porter un appareil pour aider son cœur à mieux fonctionner.
Malgré son état de santé, Sonia Pierre continuait de travailler durement au service des migrantes et migrants haïtiens et de leurs descendants en République Dominicaine.
Toujours préoccupée par la situation d’Haïti, Sonia ne marchandait jamais son concours. Elle était à Mapou et à Jimani lors des inondations de 2004. Elle était l’une des premières personnes à arriver en Haïti au lendemain du tremblement de terre du 12 janvier 2010. Avec une équipe de jeunes, elle a travaillé durement après la catastrophe, faisant un va-et-vient constant, entre les deux pays, pour prodiguer des soins et du réconfort aux victimes du séisme, particulièrement à Léogane où MUDHA travaille depuis 2010 avec des femmes et des enfants déplacés.
C’est cette vaillante femme que nous venons de perdre ce 4 décembre 2011 à l’âge de 48 ans.

Pour Sonia et pour des milliers de personnes sans nom, sans documents d’identité et sans nationalité qui souffrent en République Dominicaine, nous avons le devoir de poursuivre la lutte !

REPOSE EN PAIX SONIA ! QUE LA LUTTE CONTINUE !



Colette Lespinasse
Coordonnatrice du GARR
05 décembre 2011