MEYER, 6 Février – C’est la guerre des Accords. Exécutif-Législatif versus Opposition-Groupe des 8.

Les deux pouvoirs exécutif et législatif, avec le support de la mission de médiation de l’Organisation des Etats Américains (OEA) qui a séjourné une semaine en Haïti, signent un Accord fixant des modalités pour mettre fin à la crise politico-électorale.

Disons tout de suite que cet Accord a de positif qu’il permet de franchir le délai constitutionnel mettant fin au mandat du président Michel Martelly sans tomber dans le vide total. Mais pour le reste, non seulement il n’apporte aucune réelle solution mais il semble même créer plus de complications. 

Cet Accord semble avoir pour ligne directrice de tenter de donner un motif de satisfaction à chaque protagoniste.

A commencer par la communauté internationale qui a défilé toute la semaine dans les deux chambres du Parlement (OEA, ONU-Minustah, France etc) préoccupée par l’imminence d’un saut dans le vide avec le départ du palais national de Michel Martelly, le dimanche 7 février 2016 qui marque la fin de son quinquennat et aucun successeur n’ayant été élu. Et la Constitution ne prévoyant aucune solution. Donc seul un consensus peut nous tirer d’affaires.

La mission de médiation de l’OEA a pu remonter vendredi à Washington avec le sentiment du devoir accompli. L’Accord Exécutif-Législatif confirmant non seulement dans son poste (temporairement) l’actuel Premier ministre Evans Paul, mais celui-ci doit obtenir par la même occasion ce qui lui manquait : la ratification parlementaire.

Par conséquent le vide gouvernemental est évité. Et Haïti peut continuer de fonctionner ‘business as usual.’

Les missions diplomatiques et organisations internationales ont un vis-à-vis pour répondre à leurs sollicitations.

Pour le reste, l’Accord signé d’un côté par le président sortant Michel Martelly et de l’autre par le président du Sénat, Jocelerme Privert, et son homologue de la chambre des Députés, Cholzer Chancy, est tout … sauf applicable.

Un monument de complications, oui, parce que à l’image de la crise politique haïtienne qui continue à être un dialogue de sourds.

Parce que les signataires de l’Accord se sont sentis, envers et contre tout, obligés de prendre en considération tous les acteurs de la crise, y compris ceux qui disent ne pas en être les acteurs mais les victimes !

Ainsi après la confirmation du Premier ministre en exercice (Evans Paul), dont auparavant la démission avait été exigée par le Parlement, la seconde démarche c’est la nomination d’un Président provisoire.

« Le Président de l’Assemblée Nationale charge le Premier Ministre en poste de la gestion des affaires courantes et annonce l’élection par l’Assemblée Nationale d’un Président Provisoire. »

Jusque-là le Parlement penchait pour un Exécutif présidé par le Premier ministre, mais sous pression des partis de l’opposition qui insistent pour un Exécutif bicéphale, l’Accord signé appelle aussi au choix d’un Président provisoire.

Pardon non pas choix, mais élection ?

Vous avez bien entendu : Election d’un Président provisoire par l’assemblée des parlementaires.

« Le Président de l’Assemblée Nationale en profite pour informer de la tenue dans un délai ne dépassant pas 5 jours calendaires des élections présidentielles par l’Assemblée Nationale pour combler le vide. »

Oui, vous avez bien entendu : un Président provisoire de la République, élu (et non pas choisi) pour trois mois (les élections devant être reprises le 24 Avril 2016, leurs résultats proclamés le 6 Mai et l’installation du nouveau Président élu le 14 Mai prochain).

 Mais pour commencer comment aura lieu l’élection de ce Président Provisoire ?

A partir de ce moment c’est le fou total.

« Une commission bicamérale est immédiatement constituée pour définir et tracer la procédure à suivre pour la réalisation de ces joutes électorales qui doivent être inclusives, honnêtes et transparentes. »

Joutes électorales, un bien grand mot !

Qui seront les candidats ?

« L’élection du Président Provisoire aura lieu 48 heures après la fin des inscriptions. »

On sent une perche tendue aux secteurs de l’opposition politique (dont le Groupe des 8) qui se battent plutôt pour la nomination comme Président provisoire d’un Juge de la Cour de cassation.

L’Accord Exécutif-Législatif cède d’un côté, acceptant le concept de Président provisoire mais garde de l’autre côté la prérogative de présider à la nomination-élection de ce dernier.

Etape suivante, il revient au Président provisoire de s’entendre avec ‘les partis politiques représentés au Parlement, des groupes politiques non représentés au Parlement et les acteurs de la société civile afin de recueillir des propositions de noms de personnalités ayant les compétences et les qualités pour exercer la fonction de Premier ministre. »

Et « à entrer en consultation avec les deux chambres du Parlement autour du choix d’un Premier ministre à désigner. »

Au Parlement « de confirmer l’éligibilité du Premier ministre de consensus désigné.

Celui-ci est invité « accompagné des membres de son gouvernement, à se présenter par devant les deux chambres en séance plénière afin de recevoir le vote de confiance de sa déclaration de politique générale. Une fois le vote de confiance obtenu, le Premier ministre est immédiatement installé dans ses fonctions. »

Voici ce qu’on pourrait appeler un véritable petit exercice de démocratie … Ce qui n’est pas de trop dans les circonstances que nous traversons. Mais démocratie en circuit fermé, s’empresse de dénoncer l’opposition. Et particulièrement le Groupe des 8, qui se voit plutôt le responsable légitime de la marche des choses parce que, croit-il, l’émanation des secteurs qui continuent de se battre sur le terrain pour effacer les séquelles du Martellysme sans Martelly !

Quoi qu’il en soit, on voit difficilement comment au milieu de tant de rivalités, et aussi sourdes les unes par rapport aux autres, parvenir à ‘élire’ un Président Provisoire (à la manière de nos élections présidentielles au second degré de jadis, dont on sait combien les résultats pouvaient être surprenants !) … et pour exercer le pouvoir pendant seulement 120 jours.

Tout cela – tant de complications - parce que la confiance n’existe à aucun niveau, parce que tout le monde veut l’emporter mais surtout parce qu’il n’existe plus aucune personnalité ni institution suffisamment au-dessus de la mêlée pour imposer un halte-là !

Comme le souligne un dernier éditorial paru dans le Washington Post : il faudra une force supérieure pour aider (‘sinon contraindre’) les Haïtiens à faire un choix.

Et le grand quotidien de la capitale fédérale américaine de considérer comme inévitable une intervention étrangère dans la crise haïtienne : OEA ou Washington !

 

Marcus - Haïti en Marche, 6 Février 2016